A la fois architecte, plasticienne et auteure, Mounjia Abdeltif vient de publier aux éditions l’Harmattan un deuxième livre intitulé Dar El Djazaïr, Poétique d’un lieu. Dans cet entretien, elle revient sur sa dernière publication qui questionne le langage qui organise l’architecture de «Dar El Djazaîr». Entretien

A travers votre deuxième livre, vous proposez un concept nouveau, où l’architecture se conjugue à la poésie ?

Avant tout, je tiens à préciser que j’ai réédité en mai dernier, aux éditions Bayazin, un beau livre de 124 pages intitulé Dar Abdeltif. Il s’agit, en fait, d’un extrait de ma thèse de doctorat que j’ai soutenue à l’Epau entre 2006 et 2007. J’avais terminé la recherche. Pour des circonstances assez particulières, je n’ai pas soutenu cette thèse. J’ai pris ma retraite en 2013 et je n’avais toujours pas finalisé ma thèse. Je ressentais une petite frustration. Je me disais au fond de moi-même qu’il fallait trouver une trace de tout ce travail qui a duré sept ans. Le sujet c’était «Dar El Djazaïr» en général. C’était «maison d’Alger». J’ai fait un travail à la fois scientifique et philosophique.

J’étais en contact avec l’architecte et restaurateur Abdelouahab Zegar. Il était en charge de la restauration de Dar Abdeltif en 2007. Il a d’ailleurs restauré de bout en bout le lieu magnifique de Dar Abdeltif. Il m’a associée au projet. Il voulait me montrer son travail et du coup il y avait deux facteurs importants dans ma démarche. Le premier facteur, c’est que je suis une descendante directe de Mahmoud Abdeltif qui avait acheté «Dar Abdeltif» en 1795. C’est mon ancêtre, mais en fait ce n’est pas cela qui m’a poussé à écrire le livre. C’est une coïncidence. Ce n’est pas moi qui ait voulu qu’elle soit restaurée. Bien entendu, c’est l’Etat algérien qui en a décidé ainsi. Le deuxième facteur, c’est que je lui avais dit que je voulais laisser une trace de ma thèse. Il m’a dit que cela tombait bien et «Dar Abdeltif» sera mon cadre d’étude. Et que j’allais travailler dessus. J’avais tous les éléments. L’architecte Abdelouahab Zegar m’a beaucoup aidée. Sans prétention aucune, beaucoup de mes lecteurs et proches trouvent que mon livre est un travail technique, émanant d’un architecte.

«Dar El Djazair» ne se veut pas le lieu de toutes les maisons algériennes, mais vous semblez plutôt personnifier la villa Abdeltif en elle-même ?

Je dirais que c’est comme si toutes «les dyars» (maisons) étaient dans la médina ou dans le hafs. C’est comme si elles étaient des sœurs et l’une d’elles est la villa Abdeltif. Elles ont toutes le même langage. Il faut dire que la villa Abdeltif est la seule dar hafse qui a été bien restaurée. «Dar Mahieddine» et toutes les autres maisons un peu abîmées sont en attente d’une éventuelle restauration. «Dar Abdeltif» a été un chef-d’œuvre en matière de restauration. Elle a été inaugurée et du coup j’ai fait ce travail scientifique d’architecte à travers un livre. Quand mon beau livre est sorti en 2014, les gens attendaient quelque chose de plus facile à parcourir par le fait que je leur parle de la thématique. Je me suis dit, je tiens compte de tout cela. Je vais écrire un second livre où l’architecture dialoguera avec la poésie. Il faut savoir que j’ai toujours écrit de la poésie, mais je ne me considère pas comme poète. Dar El Djazâir, poétique d’un lieu était une occasion idoine pour publier mes poèmes ayant trait à Dar El Djazair et à la Médina d’Alger.

Mes poèmes portent sur l’échelle de la cité. J’ai extrait de Dar Abdeltif, des passages que j’ai associés à la poésie. Cela a fait un ouvrage que tout le monde peut lire d’une façon détendue. Cela ne demande pas beaucoup de réflexion. Je l’ai voulu un peu agréable, accompagné de beaucoup de photos en noir et blanc. Le problème, c’est que l’Harmattan n’a pas voulu trop s’investir. Ils n’ont pas trop de garanties que mon livre va se vendre, c’est pour cela qu’ils ont opté pour des photos en noir et blanc.

C’est parce que la villa Abdeltif est un lieu parlant et émouvant à la fois que vous vous laissez aller à votre état d’âme avec cette aura de lumière ?

La lumière, j’en ai parlé dans mon beau livre La villa Abdeltif mais cette fois-ci, je parle du côté sensible. Dans toutes les sociétés du monde, la lumière est une source d’esthétique et de poésie. La lumière est inspirante. Le poème arrive. Il confirme avec une touche esthétique les espaces qui dégagent tout cela. En même temps, je voulais mettre en valeur le côté sensoriel de ce patrimoine extraordinaire qui est le nôtre. Je voulais le mettre en valeur et montrer qu’il est dans le haut niveau. Aujourd’hui, nous sommes incapables de créer une telle architecture.

Vous faites référence dans votre livre au philosophe français Gaston Bachelard et à l’architecte André Ravéreau, lesquels se sont intéressés de près à l’architecture algérienne…

André Ravéreau est un architecte français qui a été élevé au rang d’Achir de l’Ordre du mérite national d’Algérie en 2012. Il a publié plusieurs livres sur l’architecture. Il avait l’Algérie dans la peau, puisqu’il y a vécu. Il a senti notre architecture comme un Algérien.

C’est ma référence. Il a senti notre architecture comme un Algérien. Il m’a donné les éléments pour pouvoir parler fièrement de notre architecture. Par exemple quand il dit que l’architecture algérienne est le pur fruit du génie algérien. Pour moi, c’est une révolution. Il fallait que je m’y mette

Pour sa part, Gaston Bachelard a publié un livre La poétique de l’espace. Je me suis un peu inspirée de lui, puisque mon livre fait référence à la poétique d’un lieu. En fait, ce poète m’a donné des éléments. On dirait qu’il connaît notre architecture quand il parle des espaces, etc. C’est assez troublant. C’est pour cela que je me suis dit qu’il fallait que je mette, là aussi, en valeur cette perception, car il n’est surtout jamais venu en Algérie. Quand, il parle d’immensité intime et d’intériorité, c’est nous autres Algériens. Quand on rentre dans une «dar» (maison), on a ce sentiment d’immensité, même quand elle est petite. On a aussi ce sentiment d’immensité à cause du patio qui est la source de lumière. Cette dernière dilate. C’est un phénomène scientifique connu. Quand la lumière rentre dans un espace, on a une niche. La lumière rentre dans cette niche. On a l’impression que c’est elle qui a creusé la niche. C’est une métaphore. Je parle de tous ces aspects. Je dirais que notre architecture est un puits de science et d’art.

A travers vos poèmes, vous tirez la sonnette d’alarme concernant la dégradation du vieux bâti ?

C’est à la suite de cette dégradation que j’ai donné naissance à mes poèmes. Quand j’allais visiter ces lieux anciens avec ma fille, je revenais démolie de ce que je voyais. Il fallait que je sorte tout cela d’une manière ou d’une autre. Il faut savoir que je suis une artiste peintre plasticienne. J’ai eu l’occasion d’exposer à Grenade trois fois. C’était très émouvant pour moi, car j’ai trouvé des similitudes sur le plan architectural entre l’Andalousie et Dar El Djazair. Cette ressemblance est frappante.

Pourquoi avoir édité votre livre chez l’Harmattan ?

Pour être honnête. Je n’ai pas choisi et je n’ai pas voulu publier mon livre chez l’Harmattan. Mon éditrice algérienne était en panne de budget. J’ai, par la suite, contacté, toutes les maisons d’éditions algériennes. La plupart d’entre elles se sont vues désolées en me disant qu’elles avaient beaucoup de manuscrits en attente. Je rappelle que c’était en pleine pandémie de la Covid -19. C’est à partir là que j’ai sollicité les éditions l’Harmattan. J’espère, par ailleurs, aller vers une édition augmentée à l’occasion du prochain Salon international du livre d’Alger.

Avez-vous d’autres projets d’écriture ?

Mon troisième livre portera sur la codification. Il sera destiné à livrer le code vu à travers ma perception pour pouvoir un jour réaliser des architectures identiques. Mon projet d’écriture est bien avancé.

Source:

Journal El watan, Propos recueillis Par  Nacima Chabani

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